jeudi, avril 13, 2006

Du danger des dégustations en primeurs


Dans un précédent message, j'évoquais mon émotion consécutive à la dégustation du Lafite 2005 goûté en primeurs.
En cette période d'excitation générale de la planète vins qui attend les prix de sortie des Bordeaux 2005, Je voudrais ici relater une petite mésaventure survenue à Bordeaux fin mars ; en visite avec un petit groupe dans un cru réputé dont je tairai le nom (3ème Cru Classé du Médoc, vue des chais ci-dessus), l'échantillon de primeur 2005 nous est présenté. Le vin est flatteur, séduisant, riche et mûr, très facile d'accès et approchable. Assez naïvement et maladroitement, le jeune maître de chai nous annonce que l'échantillon primeur qui est présenté en dégustation cette année sera composé d'un assemblage de 10% de bois neuf américain, alors que l'assemblage final du vin (qui n'imterviendra que fin 2007 à la fin de la période d'élevage) n'en comportera que 2% maximum. L'idée est de rendre l'échantillon plus présentable, plus approchable à la dégustation.
Il faut savoir que le chêne américain apporte une touche vanillée marquée, et une sucrosité qui peut masquer des tanins anguleux et végétaux. L'objectif non-avoué est bien sûr d'obtenir de meilleures notes de la part des critiques sur la base de cet échantillon primeur "favorisé".

Choc dans l'assistance, dont une partie s'insurge façe à cette pratique que peu soupçonnaient. Peut-on officiellement considérer qu'il y a tromperie en l'espèce ?
Oui si le vin dégusté en primeur 6 mois après la vendange se doit d'être le reflet fidèle et objectif du vin qui sera mis en bouteille au printemps 2008, mais acheté en primeur sur la base des commentaires rendus publics au printemps 2006.
Mais en toute honnêteté, n'y a t'il pas aussi une certaine hypocrisie à plaider pour l'objectivité et la transparence des dégustations primeurs ? Qu'est-ce qui pourrait logiquement empêcher un maître de chai de composer son échantillon à partir d'une sélection des meilleures barriques, qui se goûteront mieux à un moment donné ? La responsabilité de ce petit jeu n'incombe t'elle pas aux journalistes, coupables dans leur ensemble de cautionner un système qui cherche à tout prix et de plus en plus tôt à décrire et noter un vin encore totalement immature, et qui n'est pas à l'abri des nombreux aléas pouvant survenir en cour d'élevage ou de mise en bouteille ? La demande commerciale mondiale relayée par les médias appelle cette évaluation prématurée des vins dont la prétendue objectivité ne doit pas faire illusion.

Le danger survient lorsque le producteur, obsédé par l'impératif d'une présentation favorable de l'échantillon primeur maintenant dès le mois de mars qui suit la vendange, en vient à modifier la constitution même du vin pour rendre celui-ci "lisible", précoce dès sa prime jeunesse. Lorsque les fermentations malolactiques sont tardives, comme ce fût le cas dans bien des châteaux en cette fin d'hiver 2005-2006, certains les arrêtent abruptement pour que les vins puissent mieux se déguster, ne respectant pas le cycle naturel d'évolution du vin. Un peu comme si on obligeait un adolescent qui apprend le solfège à se produire soudain en récital devant un public exigeant qui le jugerait parmi d'autres sur une audition pour décider de sa carrière....Si cet adolescent était votre fils, ne seriez-vous pas un peu tenté de le favoriser d'une manière ou d'une autre ?

1 Commentaires:

At 9:36 AM, Blogger jean-emmanuel simond - oenotropie said...

Guillaume,
Vous avez raison, il y aurait au moins deux échantillons "caramel" !!
Je n'ai pas dégusté Rauzan-Ségla 2005. Cela dit, rien n'indique que le vin de l'assemblage final qui sera mis en bouteille affichera ces caractéristiques...

 

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